Dès sa nomination en 1956 à Cholet l’abbé André Bouin (qui sera curé officiellement le 20/12/1959) a comme souci premier de construire une chapelle pour rassembler ses paroissiens et assurer les offices, le plus proche lieu de culte étant l’église Notre-Dame située à plus d’un kilomètre. Très peu de foyers possèdent une voiture pour les déplacements et la célébration du samedi soir n’existe pas encore, qui aurait permis d’assouplir les possibilités de se remplacer dans les familles.
Sur cette paroisse virtuelle, les maisons poussent comme des champignons, la Ville de Cholet ayant acheté les terres agricoles, depuis l’avenue de la Libération jusqu’au lycée EUROPE, sur tout le côté gauche de la route allant au PUY-St-BONNET, et les vendant à bas prix et payables en dix ans, en lotissements viabilisés.
Comme le travail abonde et que les usines ont besoin de main d’oeuvre, beaucoup de personnes venant des communes environnantes (et même de plus loin) se ruent sur ces terrains à bâtir, en plus des Choletais très mal logés. Et pas de lieu de culte à proximité !
Notre Curé se rend compte de la situation et il cherche immédiatement un emplacement provisoire pour rencontrer ses paroissiens. Son choix se fixe sur une salle disponible de suite, dans l’enclos de l’école du Breloquet, salle servant pour les réunions du patronage. Le message passe tout de suite et la salle devient vite trop petite avec l’affluence des fidèles. Alors, il fait boucher avec des briques le préau qui est attenant et voilà la première chapelle de l’Abbé Bouin.
Il nous faut une église
Il est maintenant nécessaire de bâtir une véritable église, les modestes salles servant de chapelle primitive ne pouvant assurer longtemps le service religieux, vu l’accroissement constant de la population.
Un emplacement est prévu dans le plan urbain, attenant presque au presbytère actuel. Il n’est pas question pour notre abbé bâtisseur d’attendre cette construction qui est prévu dans plusieurs années, vu les délais pour un tel programme.…Il faut se mettre tout de suite au travail et il envisage de monter, seul avec des bénévoles, une construction qui servirait plus tard de salle paroissiale.
Tout de suite, l’idée fait son chemin, mais il lui faut trouver de l’argent car il n’est pas question de subventions de l’évêché, ni d’ailleurs. L’abbé BOUIN va quêter inlassablement dans les paroisses avoisinantes, il y officie même parfois et ensuite il parle éloquemment de sa paroisse en attente d’une église. Les fidèles sont généreux et les sommes rentrent peu à peu.
C’est alors que le docteur Jules Moreau des Herbiers, propriétaire de la ferme de la Haie, soucieux du développement spirituel du nouveau quartier du Breloquet, choisit de faire don à la nouvelle paroisse, d’un terrain pour construire une église, celui-ci étant situé à droite de la route du Puy St Bonnet. L’abbé Bouin décida alors immédiatement d’utiliser ce terrain pour construire une chapelle. »
Des plans sont établis par l’architecte Maurice Laurentin, conformes à l’idée que notre Curé a du bâtiment dont il rêve.
Mais pas question de demander un entrepreneur !
La fabrication des parpaings
Toute la construction sera effectuée par des bénévoles avec les moyens du bord. L’abbé Bouin achète alors un peu de ciment et du sable et appelle un de ses amis pour faire des parpaings avec lui :
-« Mais, je n’y connais rien ! Je n’ai jamais fait ça ! »
-« Moi non plus », lui fut-il répondu.
Et les voilà partis pour le chantier, près de la chapelle du Breloquet. Le premier travail ne leur donne pas satisfaction et, à la fin de la journée les deux acolytes apprentis doivent aller chercher le conseil d’un maçon exerçant tout près de là et qui rit bien en découvrant le travail effectué. Il leur donna leur première leçon. Ensuite, il durent prendre pendant quelques jours deux maçons dont l’un a refusé d’abord parce qu’il jure comme un charretier en travaillant, il en est conscient et craint de se faire réprimander par un curé. Celui-ci, averti à l’avance, l’accepte avec joie dans son équipe car il en a un besoin urgent.
En quelques jours seulement, nos apprentis maçons sont devenus des pros qui peuvent diriger la fabrication des parpaings. Et les ouvriers arrivent de partout.
Appelés au moment des offices par notre prêtre entreprenant, beaucoup de paroissiens se mettent à sa disposition. Des équipes se constituent, les uns viennent tous les soirs après leur travail à l’usine ou en atelier, les autres le samedi toute la journée et le dimanche matin. (Il a été demandé une dérogation pour travailler le dimanche) Les parpaings se font dans le bas de la cour de l’école du Breloquet, empilés ensuite pour les transporter, en camion ou en charrette, jusqu’à la Chapelle en construction. Il faut une semaine pour le séchage et en avant pour le montage.
Toute une organisation se met en place.
On couche dans l’armoire
Pour surveiller les travaux de près et être sur place dès le matin, l’abbé Bouin a commencé par bâtir une petite pièce sur la gauche, y a placé une armoire couchée par terre avec un matelas, et voilà sa chambre.
Il se dit le gardien du trésor, en l’occurrence un tas de parpaings non encore posés et quelques outils.Mais il est là, au plus près.
On dit qu’il a parfois trouvé des intrus dans ses appartements :
un ivrogne, une bande de jeunes gens, un couple couché dans son lit…!
Avec ces nombreuses équipes, les parpaings sont bientôt montés et au-dessus est placée une carcasse métallique posée par les Ets Bréhéret de St-Pierre- Montlimart.
Une « sorcière »
A peine installée, une tornade, ce qu’on appelle une sorcière dans la région, la fait se déformer et s’effondrer et elle doit être retournée à St-Pierre, pour la restructurer . Notre Curé s’inquiète ; il craint que le délai fixé ne soit pas respecté, mais l’immobilisation est très rapide et les travaux peuvent continuer. ……
Le gros oeuvre est bientôt terminé et il faut penser maintenant à l’aménagement intérieur.
Le mobilier
Ce n’est pas non plus une mince affaire d’installer les autels, de fabriquer les bancs, de trouver des bénitiers, un baptistère. Et voilà notre prêtre qui part en chasse. Dans les fermes il mendie, outre des finances, tout ce qui peut l’intéresser : par exemple les gros rouleaux de pierre qui servaient autrefois à moudre le grain, et qui sont sans utilité désormais, sont des supports d’autels très originaux, un lavemain en pierre devant une porte de ferme devient un magnifique bénitier, l’ancien baptistère se trouve actuellement dans la petite pièce où la messe est dite sur semaine et il sert de porte-évangile. Et les donateurs sont heureux de donner pour l’église, même si ce sont des objets qui leur servent encore.
La foi est encore bien grande dans les campagnes !
A la Gaubretière, un prêtre fournit un chêne qui a poussé sur le lieu exact où furent martyrisés des centaines de chrétiens en 1793, pour en faire la table d’autel. Pour transporter ce tronc énorme, il a fallu un diable que le charron du village a très aimablement prêté et ce fut l’occasion pour notre Abbé de lui dire « Monsieur Untel, vous voyez aujourd’hui quelque chose que vous n’avez jamais vu : un curé qui tire un diable par la queue. » Il avait aussi de l’humour notre père Bouin ! Ce bois a travaillé depuis, parce que pas assez sec sans doute, et ce n’est plus le bois d’origine qui constitue l’autel aujourd’hui, paraît-il.
Dans la paroisse qu’on appelle toujours « le Breloquet » c’est le tour des artisans et de ceux qui ont un don pour travailler le bois ou le fer.
Dans une grande entreprise de construction choletaise, le forgeron a l’autorisation de venir, tous le matins, une demi-heure avant l’arrivée des autres ouvriers, pour travailler en vue de l’aménagement de notre chapelle. Il y façonne des clous pour les stations du chemin de Croix, un ange pour le baptistère, et un porte-cierge pascal, puis plus tard les clous du grand Christ qui nous tend les bras. Un menuisier dans son atelier, fabrique les sièges du choeur ainsi que la grande-croix de bois qui se trouve au fond. D’autres menuisiers passent tout leur temps libre à construire les bancs qu’il faut souder sur leurs parties métalliques dans un atelier prêté par le propriétaire qui met également la main à la pâte. Et il faut couler le ciment pour faire le sol, élever l’escalier qui monte à la tribune nécessaire pour recevoir davantage de fidèles les jours de fête, poser les grandes portes de l’édifice, les petites portes coulissantes séparant les salles latérales, les confessionnaux absolument indispensables à cette époque, trouver un harmonium, etc.…
Il faut penser au linge de l’église, trouver une équipe pour la décoration , pour le chant. Les ouvriers de la dernière heure peuvent exercer leur talent avec la peinture des fenêtres.
Voici l’inauguration en vue et notre chapelle n’a toujours de nom.
Il est un moment question de la dédier à Ste Thérèse, mais après plusieurs réunions à la cure de Notre-Dame, il est décidé, en particulier sur la suggestion de l’architecte Maurice Laurentin, qu’elle serait dédiée à St Louis Grignion de Montfort, étant située sur la route de St Laurent, une bourgade voisine où le saint mourut en 1716 et où de grandes fêtes de canonisation ont eu lieu en 1947. Un grand saint, avec une doctrine mariale étonnante, qui a évangélisé notre région au début du XVIIIéme siècle, dont les habitants ont été marqués par son zèle extraordinaire, sa foi ardente qu’il savait communiquer et qui a contribué beaucoup en 1793 au soulèvement des chrétiens contre les lois de la République du moment, qui exilaient et persécutaient leurs prêtres.
Ce doit être l’apothéose dans LA NUIT DE NOEL1957 .
Tous les paroissiens qui ont pu venir sont présents pour la messe de minuit. Notre évêque est là et sa présence récompense tous les bénévoles qui emplissent la nef de l’édifice. Les assistants chantent leur joie d’avoir enfin un lieu de culte arrosé de la sueur de nombre d’entre eux. Et voilà qu’au moment de la quête, survient une panne d’électricité : la foudre est tombée sur un transformateur voisin. C’est un temps de panique, et la panne persiste. Une idée de génie de notre père Curé, astucieux comme toujours : il sort précipitamment et amène sa voiture (nommée Zézette) devant la porte principale, après avoir ouvert celle-ci toute grande. Il avance un peu dans la nef, allume pleins phares et, dans cette clarté inattendue, la messe peut continuer. La panne dure longtemps et la lumière électrique ne revient qu’à la fin de la cérémonie, mais l’histoire se répand rapidement dans toute la ville et beaucoup s’en souviennent encore.
Le Christ en bois sculpté, d’une facture originale, qui nous tend les bras dans le chœur, est l’oeuvre d’un sculpteur Monsieur Touret, qui fut l’ami de stalag de notre organiste de l’époque, Marius Barré. Celui-ci connaissait le travail de son compagnon et lorsqu’il fut question de mettre un beau Christ au chevet de notre chapelle, il se souvint de lui.
Cet artiste est aussi le dessinateur du bas-relief qui orne la tribune et qui fut divisé en plusieurs parties pour le travail de sculpture. Ces œuvres n’étaient pas encore effectuées lors de l’inauguration de notre chapelle, mais elles l’ont ornée quelques années après.
Depuis cinquante ans, elle s’est aussi enrichie d’un revêtement de lattes de bois peintes au chevet du choeur (1993), d’un chauffage performant, d’une acoustique et d’un éclairage améliorés. ……
L’église Saint Louis’.
Notre lieu de culte a longtemps conservé le nom de Chapelle et même d’aucuns la qualifiaient de « Chapelle du Breloquet » de l’ancien nom du quartier.
Comme il n’est plus question d’édifier une véritable église sur le terrain envisagé car le coût en serait énorme et que notre chapelle remplit bien son rôle depuis plus de cinquante ans, elle est bien connue maintenant sous le nom « d’église Saint Louis ».
C’est seulement dans les années 2000 que, après accord entre l’évêché et la municipalité, l’emplacement initialement prévu pour une église dans le quartier du Chiron, a été abandonné pour permettre la construction de petites maisons, de plain pied, aptes à recevoir en particulier des personnes seules, malades ou handicapées.
« Je suis fière de mon mari »
Quand les anciens paroissiens pénètrent dans cette église, ils s’attardent parfois à regarder autour d’eux et revoient tous ceux qui ont participé à la construction et dont la plupart sont décédés.
Une dame disait l’autre jour « J’étais fière de mon mari et de l’engagement de tous les autres »
L’abbé Bouin fut nommé curé de Liré un peu plus tard, mais il revenait, jusqu’à sa mort, il y a quelques années, aux funérailles de ses amis constructeurs. Il y a un peu plus de dix ans, à la messe de sépulture de M. Jaunet qui s’était totalement investi dans le projet de construction et qui l’avait assisté de toutes les manières possibles, il nous a confié, devant le cercueil : « Je me souviens qu’un soir nous n’avions plus d’argent, c’était la fin de notre stock de matériaux : ciment, sable etc, après avoir terminé nos parpaings, j’ai dit aux ouvriers autour de moi : ce n’est pas la peine de revenir demain matin puisque nous n’avons plus rien. Je vous préviendrai quand nous pourrons reprendre, dans quelques jours sans doute ».
Une leçon de confiance
– Alors, dit-il, mon ami s’est redressé, m’a regardé en face, paraissant surpris, et m’a dit en haussant la voix :
« Comment, père Curé, c’est vous qui nous parlez ainsi ! Vous qui nous avez toujours dit d’avoir confiance, que le Seigneur ne nous lâcherait jamais puisque nous travaillons pour sa Maison , tenez, vous me faites honte, moi je viendrai demain matin et venez aussi vous-autres. »
L’abbé a ajouté que, sans espoir véritable, il avait, devant son insistance, demandé à tous de venir le lendemain matin et, à son grand étonnement, il y avait sur le chantier un énorme tas de ciment et de sable, tout ce qu’il fallait pour fabriquer des parpaings. Sans doute que le transporteur avait pensé que le chantier était dépourvu et qu’il fallait le réapprovisionner. Et ce fut très émouvant car cet abbé meneur d’hommes avait les yeux embués, la voix tremblante, quand il s’adressa à son ami décédé en lui disant :
« Auguste, tu nous as donné ce jour-là une belle leçon de confiance, d’une foi profonde dans le Seigneur. Il t’a sûrement ouvert les bras et reçu chaleureusement dans sa maison là-haut, toi qui as mis tant de zèle à construire sa maison sur la terre. »
Tout est dit là, dans ces paroles, sur la construction de notre église.
Les acteurs survivants de ce temps là
Tous ces bénévoles, et il y a encore bien des survivants, ont voulu élevé à Dieu une maison digne de lui et l’ont fait de tout leur cœur et avec toute leur foi. Ils sont un exemple pour nous, chrétiens d’aujourd’hui, paroissiens de notre église St Louis, qui bénéficions aujourd’hui de l’énorme charge de travail qu’ils ont effectué bénévolement, dans de dures conditions, il y a maintenant plus de cinquante ans. Et n’oublions pas non plus l’abbé André Bouin qui fut tellement enthousiaste dans une tâche difficile à mener à bout, mais ayant toujours devant lui le but qu’il s’était fixé : la construction d’une église pour ces hommes et ces femmes dont l’évêque lui avait donné la responsabilité spirituelle et, pour cela, il s’était mis proche de ces paroissiens qui avaient pour lui une admiration sans borne et exécutaient sans rechigner les tâches, parfois ingrates qu’il leur demandait d’effectuer.
Toutes les personnes interrogées pour donner leur témoignage ont les yeux pleins d’émotion, la voix enrouée, quand ils parlent de « ce temps-là », ils regrettent sans doute leur jeunesse qui s’est enfuie, mais certainement davantage encore cette générosité, cette camaraderie, cette solidarité, combien vivantes sur ce chantier, autour d’un animateur hors du commun qui travaillait, en bleu de travail comme eux, mangeait et buvait avec eux, partageait leurs joies et leurs peines et leur faisait vivre une aventure qu’ils n’oublieront jamais.
Voici l’historique de la construction de notre église tel que je l’ai recueilli de la bouche de témoins des premiers jours. Comme cela s’est passé il y a plus de 50 ans, il y a certainement des inexactitudes dues à la mémoire sélective et de nombreux oublis. Je ne donne aucun nom car je ne peux avoir rencontré tous les acteurs et certaines personnes dont les noms seraient omis pourraient se sentir blessées si elles ont beaucoup donné de leur temps et qu’on ne parle pas d’elles, Beaucoup de paroissiens se sont investis dans cette tâche et en ont encore la nostalgie…
Le premier que je cite, celui qui a fait les premiers parpaings avec l’abbé Bouin, en est encore tout bouleversé. Pour lui, notre ancien curé était un meneur d’hommes extraordinaire et, en revivant cette époque, les yeux brillants et le visage animé, cet ancien bénévole, compagnon de la première heure, me disait ressentir une immense émotion et j’ai le sentiment qu’en lui demandant son témoignage pour le transmettre, je lui ai procuré une très grande joie.
Marie-Madeleine DUFORT (89 ans en 2009 NDLR)